Alix est née le 13 Avril 2019. Vers ses 4 mois, j’ai commencé à avoir des doutes sur le bon développement de sa motricité : elle n’attrape pas ses pieds, ne se retourne toujours pas, n’essaie pas d’attraper les jouets suspendus au-dessus d’elle… Je constate un jour, qu’elle n’arrive plus à relever sa tête lorsqu’elle n’est sur le ventre et qu’elle ne relève plus les jambes. Elles retombent lourdement lorsque je les lui relève. Cela m’interpelle mais je n’imagine pas à quel point ces quelques changements sont révélateurs de ce qu’il se passe sous mon nez. Les jours passent et je trouve qu’ Alix ne progresse pas. Mon entourage qui se veut bienveillant et rassurant me conseille de ne pas m’inquiéter, me dit qu’il ne faut pas comparer aux autres enfants.
Alix est un bébé très souriant et à l’affût de tout, elle est minutieuse, porte une grande attention à de tout petits détails et communique déjà beaucoup avec nous malgré son jeune âge. C’est un bébé calme qui pleure peu et doucement, elle ne fait pas de crises, et semble avoir développé une grande capacité cognitive… Elle aime la musique et écoute déjà les histoires qu’on lui raconte. Et nous pensons que finalement, elle a privilégié son développement intellectuel à son développement moteur.
Arrive le mois d’octobre et dans mon inconscient il se passe quelque chose. Je ne suis pas tranquille, je sens que quelque chose ne va pas et pourtant je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Je regarde ma fille. Elle bouge, tranquillement, mais elle bouge. Je me félicite d’ailleurs de la mettre en confiance de cette manière, car elle ne semble pas nerveuse, elle n’attrape pas avec force les objets, elle ne fait pas de crise en tapant par terre quand je lui refuse quelque chose. Il y a bien toujours ce souci de jambe qu’elle n’attrape pas, et elle ne se retourne pas… Mais je ne veux pas en faire une obsession au risque de la bloquer dans son développement.
C’est alors que je trouve qu’elle a du mal à évacuer ses selles, de plus en plus. A plusieurs reprises, je parle de mes inquiétudes au pédiatre qui suit Alix. Je crois que je passe pour une maman surprotectrice… Nous sommes fin Octobre et Alix tombe malade. Elle a un gros rhume et semble encombrée. Je ne panique pas, elle en a déjà eu un lorsqu’elle avait 2 mois, et tout s’était très bien passé. Mais ça ne passe pas. Je consulte mon médecin traitant, et en profite pour lui parler de mes inquiétudes au sujet de sa motricité… rien à signaler pour elle. Suite à des séances de kiné respiratoire, la kiné trouve qu’ Alix commence à avoir la tête plate et c’est ma hantise ! Je décide de l’emmener chez un ostéopathe et lui parle également de mon inquiétude sur la motricité d’Alix et de ces soucis de constipation… Elle ne trouve également rien d’anormal. Me voilà rassurée, mais seulement à moitié. Je sens que quelque chose ne va pas!
Cette bronchiolite passe, mais Alix fait une rechute une semaine après, nous sommes début novembre. C’est à ce moment-là que le pédiatre commence à entendre mes inquiétudes au sujet de la motricité. Il propose de faire des examens (scanner cérébral et prise de sang), de commencer des séances de kiné motrice et de revenir le voir dans un mois. Je suis soulagée d’être entendue mais j’ai peur. Je ne sais pas vers quoi nous allons.
Les examens prescrits ne révèlent rien et à l’hôpital personne ne semble s’inquiéter de la motricité peu développée d’Alix. C’est un bébé calme me dit-on. Tout semble être normal mais je ne suis pas tranquille.
Décembre arrive, Alix a 8 mois. Elle ne se retourne toujours pas, elle n’attrape pas ses pieds, ne tient pas assise, mais elle est toujours aussi calme et très communicative. Le pédiatre l’examine de nouveau et c’est à ce moment-là que le tourbillon nous emporte. Il s’inquiète car Alix a perdu ses réflexes ostéo tendineux ! Il me demande si Alix garde toujours les bras ballants. Je ne comprends pas sa question car Alix bouge encore les bras, faiblement, mais elle les bouge. Et je viens le voir pour un problème au sujet de ses jambes qu’elle ne relève pas. En réalité, je n’ai pas conscience que Alix est hypotonique des orteils jusqu’au cou.
Le pédiatre évoque la possibilité de différentes pathologies et dans le pire des cas me parle d’une maladie dont j’ai du mal à retenir le nom tant il est compliqué… Mais ce que je retiens ce sont les mots suivants : maladie neuromusculaire dégénérative. Je comprends que c’est grave mais garde espoir parce que ce n’est qu’une hypothèse. J’ai peur, je pleure devant le pédiatre qui prend enfin le temps de me rassurer et de m’écouter ! Lui qui est toujours si rapide et expéditif, je comprends que la situation est grave.
Sur ses conseils, nous consultons un de ses confrères quelques jours plus tard. Entre-temps, je me suis documentée : hypotonie axiale, maladie neuromusculaire, absence de réflexes … Toutes mes recherches aboutissent sur pratiquement la même chose : une maladie au nom imprononçable que j’ai toujours du mal à retenir. C’est impossible. Alix bouge, ce n’est pas ça. J’imagine que j’ai dû créer un blocage psychologique quelque part chez elle. J’ai de plus en plus peur, je n’arrive plus à me concentrer au travail.
Arrive la deuxième consultation chez le confrère du pédiatre. Il ausculte Alix et en quelques secondes m’annonce sans aucune précaution que Alix a une amyotrophie spinale : « préparez vous à accompagner votre enfant dans la survie. » Le mot décès prématuré n’est pas prononcé mais je prends conscience de la gravité de l’annonce. J’ai l’impression que le sol disparaît sous mes pieds, de tomber dans un trou sans fond. Je suis seule face à ce médecin, je sers ma fille contre moi, très fort, elle pleure et je retiens mes larmes en puisant toute la force que j’ai dans mon cœur. Le médecin m’annonce qu’il faut garder espoir car un traitement par ponction lombaire existe, mais il ne sait pas m’en dire plus… « Gardez espoir Madame » me dit-il avant de me laisser partir. De chaudes larmes coulent le long de mes joues et les patients suivants me regardent médusés.
Immédiatement après, le pédiatre d’Alix nous envoie à l’hôpital Necker afin de consulter un neuropédiatre et de savoir ce qui peut être fait. Je passe des jours épouvantables, en m’imaginant que les moments que nous vivons avec notre fille sont peut-être les derniers. Est-ce son premier et son dernier Noël, si elle vit ? Est-ce qu’Alix pourra marcher à mes côtés en me donnant la main comme cette petite que je croise dans la rue ? Et moi qui voulait l’inscrire à des cours de piano… pourra-t-elle être musicienne?
Le 26 Décembre, nous rencontrons la neuropédiatre. Elle prend le temps d’examiner Alix avec soin, elle nous pose beaucoup de questions, regarde les vidéos que nous lui montrons d’Alix à la maison, dans son bain, qui fait des exercices de motricité. Elle patiente calmement derrière son bureau, attendant que nous ayons rhabillé Alix, puis nous dit avec la plus grande sincérité mais avec beaucoup de douceur et de bienveillance: « je pense que Alix est atteinte d’amyotrophie spinale de type 1. Mais selon moi, sa vie n’est pas en danger. »
Je viens d’apprendre par une spécialiste que ma fille est atteinte d’une maladie grave, mais les seuls mots que j’entends sont : sa vie n’est pas en danger. Je souffle presque de soulagement !
Immédiatement, ce médecin nous annonce aussi qu’il existe depuis quelques mois en France la possibilité de proposer 2 types de traitements pour tenter d’enrayer la maladie : le Spinraza, efficace, avec un recul de quelques années, assez lourd à supporter et qui permet de retrouver de la motricité mais n’est efficace que si on l’injecte tous les 4 mois; et le Zolgensma, il s’agit d’une thérapie génique qui remplace le gène manquant, se fait en une seule prise et stoppe la maladie, mais nous avons peu de recul. On peut espérer avec ce traitement qu’elle puisse se tenir assise, se retourner et manger seule. Cette annonce est un soulagement mais en même temps fait peur. Je n’avais même pas eu le temps de prendre conscience que Alix ne pourrait certainement pas manger seule, ni effectuer les gestes les plus simples du quotidien. On nous explique ce qu’est cette maladie, on fait beaucoup de recherches, mais finalement, on ne sait pas ce que concrètement ça donne dans le quotidien…
Après une prise de sang pour confirmer le diagnostic, nous repartons chez nous avec l’espoir que notre fille puisse bénéficier de cette thérapie génique. Dans la foulée, je prends immédiatement contact avec ECLAS sur les conseils de la neuropédiatre : nous allons avoir besoin de soutien… Nous attendons deux semaines pendant lesquelles nous nous posons beaucoup de questions.
La fin des fêtes de fin d’année se passent mais je ne profite de rien. Un vendredi au travail, je me remonte le moral seule, dans mon bureau. Je me dis que finalement rien n’est impossible, je ferai tout pour que ma fille puisse faire tout ce qu’elle désire, maladie ou pas. Je nous imagine trouver des solutions pour qu’elle puisse jouer du piano et je reviens à la maison enjouée à l’idée de partager mes pensées avec mon conjoint. Il est tard, nous mettons de la musique, et nous dansons tous les trois, on oublie quelques instants la lourdeur de notre quotidien. C’est à ce moment que le docteur B. a choisi pour nous appeler et nous annoncer que Alix est bien atteinte de cette maladie, mais elle nous annonce également que la thérapie génique lui sera proposée comme solution. Un sentiment de stress à la suite de la confirmation de la maladie se mélange à un sentiment de soulagement : Alix est bien malade, mais il existe une solution !
Fin janvier, Alix reçoit le traitement. Elle subit différents examens afin de vérifier si elle va bien. C’est ainsi que nous vivons une 2ème naissance pour Alix. Le 30 janvier 2020, Alix renaît…
Depuis cette injection, Alix progresse chaque jour. Chaque progrès aussi minime soit-il est une victoire pour nous. Cela représente beaucoup de petits moments de joie, avec le cœur qui bondit, des larmes de bonheur et d’admiration face à tant de force et de persévérance que ma petite Alix déploie !
Au quotidien, Alix suit 2 séances de kiné motrice par semaine et 1 séance de psychomotricité. Nous nous rendons tous les 3 mois à Necker pour son suivi et l’hiver 1 fois par mois à l’hôpital pour le vaccin contre la bronchiolite. Nous avons également des rendez-vous réguliers avec des professionnels de la santé tels que des ostéopathes, des ergothérapeutes, … A la maison, tout est prétexte à développer sa motricité. Elle joue beaucoup au sol ce qui l’aide à se renforcer au maximum au niveau musculaire. Je passe beaucoup de temps avec ma fille pour l’aider à progresser et tout simplement pour profiter d’elle.
Depuis janvier, j’ai vu Alix bouger ses jambes, ses orteils, lever les bras, porter une cuillère à sa bouche, commencer à relever les jambes, tenir assise seule une seconde, puis 2 puis 10 puis 1 minute… Elle tourne les pages de ses livres seule et peut désormais soulever son doudou et sa petite poule qui chante. Elle commence à répéter des comptines à geste et fait danser sa poupée sur ses musiques préférées. Elle repousse les mains des docteurs quand elle ne veut pas être examinée… Elle fait des bulles de savon et souffle dans la paille de son gobelet. Elle accepte de rester allongée sur le ventre et parvient à dégager sa tête sur le côté avec vigueur. Elle maintient bien sa tête droite, son dos droit et commence a avoir des petits abdos. Elle arrive à m’entourer le cou avec ses petits bras pour me faire un câlin… Et la liste de ses progrès est si longue.
Les progrès ne s’arrêteront pas là, j’en ai la conviction, et j’ose espérer parfois qu’un jour peut-être la marche sera possible. Mais le plus important, c’est qu’Alix n’a pour le moment pas d’atteinte respiratoire. Certes, elle a une toux faible et reste fragile face à un simple rhume, mais elle crie… Elle crie avec force, elle crie avec vigueur, elle crie parce qu’elle en a la force et que ça l’amuse et pour mon plus grand bonheur je l’encourage à crier, à souffler autant qu’elle peut…